La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir. Léonard de Vinci
Le peintre peint avec des couleurs mais sait faire usage des mots. Il troque le pinceau pour la plume, écrit à l'encre noire ou bleue avec des mots, peint de toutes les couleurs, explique noir sur blanc ou en couleurs ce qu'il l'on a déjà mis en image, photographie, dessin, peinture...
Pour célébrer la couleur un éventail d'expressions autour des mots de couleur mais aussi avec trois textes avec pour thème la couleur, l'artiste et son oeuvre et des mots sur son sang d'encre.
L'Artiste
Un sang d'encre
Les mots jouent d’abord un rôle dans notre appréhension de la peinture. Butor rappelle que l’émotion esthétique pure est exceptionnelle. Nous avons généralement entendu parler des tableaux que nous allons admirer avant même de les voir. Le discours précède l’œuvre et détermine le regard que nous portons dessus. C’est parce que je sais telle ou telle chose de cette œuvre que je vais y prêter une attention particulière, c’est parce que je connais l’artiste que je vais m’arrêter devant ce tableau devant lequel je serais peut-être passé sans y prêter attention si je ne l’avais pas su. D’ailleurs, il arrive de plus en plus souvent que des présentations soient affichées à l’entrée des salles, sans parler des commentaires audio que les musées mettent à disposition des visiteurs. Le lien le plus fort existant entre le mot et la peinture est cependant le titre. L’image est toujours associée à un nom, aussi mystérieux soit-il, qui a pour fonction de déterminer notre regard de le forcer à voir ou à ne pas voir certaines choses, en tout cas à lui faire perdre son innocence. Les Surréalistes ont utilisé à outrance ce lien pour déstabiliser le spectateur ou, au contraire, pour le mettre sur la voie.
Mot, petit mot, grand mot, fin mot, mot à mot, mots croisés, mot d'amour, mot de tête, mot d'ordre, demi-mot, mot couvert, mot propre, bon mot, bas mot, mot-valise, mot dire, mot pour rire, dernier mot...j'en passe, peu importe...
Jean Cortot n'a cessé de courtiser les mots, d'enluminer les rêves de ses amis poètes de vastes notes de couleurs, et de croire que l'alphabet a ses propres arches de Noé. J'ai, dit-il, la sensation que mon atelier est comme un jardin, une sorte d'arrière-pays où je peux immédiatement entrer dans ce que je fais. Il savoure l'écriture plus qu'il ne l'explique je lis toujours un peu vite, mais ce qui m'intéresse c'est lorsqu'un mot m'arrête. C'est une attitude totalement contradictoire puisqu'en principe la lecture est continue, mais c'est avec le détail qui m'interpelle que je vais faire quelque chose.
Passant du graffiti au griffonnage, des mots croisées au mot à mot, du palimpseste au hiéroglyphe, de l'entrelacs à l'écriture par ricochets, Cortot préfère composer d'oreille et garde secrètes bon nombre de ses partitions. La lettre, pour lui, n'est jamais identique. Le peinte, pour moi, est une action. Lorsque vous me demandez : Pourquoi avez-vous fait cette toile ?, c'est comme si vous demandiez à un paysagiste pourquoi il s'est arrêté devant tel ou tel paysage. Il se trouve que je puise mon énergie dans les mots et la poésie. Le langage, pour moi, est le meilleur des carburants.
François Dufrêne (1930-1982) - Principalement connu comme affichiste, François Dufrêne est un des précurseurs de l’utilisation des « dessous » d’affiches. Il crée l’ultralettrisme, mode de poésie phonétique qui atomise le langage, explorant les possibilités vocales d’une musique concrète. La pièce maîtresse de son œuvre plastique reste le MOT NU MENTAL de 1964, dessous d'affiches lacérées découpés et marouflés sur toile 146x114 cm. Laissons-lui la "parole", il est peintre et poète, homme d'images et de mots, les unes et les autres susceptibles de révéler l'au-delà du miroir.
Le M, le O et le T du MOT NU MENTAL montre cet envers des choses, le souterrain travail de l'érosion qui emporte êtres et objets a façonné là des labyrinthes semblables à ceux, dessinés par le titre, où s'abîmait déjà la conscience de Léonard. Jamais la peinture n'aura été autant "cosa", ni si impérativement "mentale". Le Mot seul résiste, témoin archéologique donc avec quelle incertitude quant au sens. Lui, ou son "contraire" ? Ici l'écrit s'impose, mais triomphe l'image.
Hassan Massoudy perpétue les courbes savantes et les mystères de l'écriture arabe traditionnelle tout en rompant avec elle. Il a épuré le trait, fusionnant tradition et modernité pour tendre vers une simplicité de la ligne. Considéré par Michel Tournier comme le plus grand calligraphe vivant, Hassan Massoudy est un artisan au service d'une véritable sagesse, une mystique. La beauté des lettres tracées surgit de la gratuité des formes et non d'une quelconque symbolique. Il a gardé effectivement de sa formation initiale de calligraphe, dans son pays natal, l'esprit de l'artisan travaillant à l'aide d'un roseau soigneusement taillé et préparant lui-même ses encres à partir de pigments.
Vincent Van Gogh
L'homme avait pris dans son sac de plage un vieux canif à manche rouge et il avait commencé à graver les signes de lettres sur des galets bien plats. En même temps, il parlait à Mondo de tout ce qu'il y a dans les lettres, de tout ce qu'on peut y voir quand on les regarde et quand on les écoute.Il parlait de A qui est comme une grande mouche avec ses ailes repliées en arrière, de B qui est drôle, avec ses deux ventres, de C et D qui sont comme la lune, en croissant et à moitié pleine, et O qui est la lune tout entière dans le ciel noir. Le H est haut, c'est une échelle pour monter aux arbres et sur le toit des maisons ; E et F, qui ressemblent à un râteau et à une pelle, et G, un gros homme assis dans un fauteuil ; I danse sur la pointe de ses pieds, avec sa petite tête qui se détache à chaque bond, pendant que J se balance ; mais K est cassé comme un vieillard, R marche à grandes enjambées comme un soldat, et Y est debout, les bras en l'air et crie : au secours ! L est un arbre au bord de la rivière, M est une montagne ; N est pour les noms, et les gens saluent de la main, P dort sur une patte et Q est assis sur sa queue ; S, c'est toujours un serpent, Z toujours un éclair ; T est beau, c'est comme le mât d'un bateau, U est comme un vase, V, W, ce sont des oiseaux, des vols d'oiseaux ; X est une croix pour se souvenir.Avec la pointe de son canif, le vieil homme traçait les signes sur les galets et les disposait devant Mondo.Jean-Marie Gustave LE CLEZIO, Mondo (1978)